Cette note d’information a été élaborée à partir des informations contenues dans l’indice Out of the Shadows et dans le rapport Panorama du Pays d’ECPAT sur la République démocratique du Congo (RDC), écrit en collaboration avec l’organisation partenaire locale BNCE-RDC.
L’indice « Out of the Shadows », développé par l’Economist Intelligence Unit, mesure la façon dont les nations abordent la question des abus et de l’exploitation sexuels des enfants. Les données publiées pour les 60 premiers pays montrent que les gouvernements, le secteur privé et la société civile doivent davantage œuvrer pour protéger les enfants contre les violences sexuelles et respecter les engagements qu’ils ont pris dans le cadre de la cible16.2 des objectifs de développement durable des Nations unies.
L’indice a été calculé en évaluant la législation, les politiques et les réponses des gouvernements nationaux. Il couvre les questions essentielles et sous-jacentes à l’exploitation et aux abus sexuels des enfants, notamment l’éducation, la santé reproductive, le soutien aux victimes, l’application de la loi et les risques liés au monde numérique. L’indice tient également compte de facteurs environnementaux tels que la sécurité et la stabilité d’un pays, la protection sociale et le fait que les normes sociales permettent une discussion ouverte sur le sujet. Il couvre aussi l’engagement des entreprises des secteurs de la technologie et des voyages/du tourisme dans la lutte contre les abus et l’exploitation sexuels des enfants.
Les panoramas du pays d’ECPAT présentent de manière exhaustive toutes les informations existantes et accessibles au public, ainsi qu’une analyse détaillée du cadre juridique relatif à l’exploitation sexuelle des enfants (ESE) dans un pays donné. Ils fournissent une évaluation des avancées et des défis liés à sa mise en œuvre, des actions en cours pour lutter contre ce problème, et proposent des mesures prioritaires et concrètes pour améliorer la prévention et la réponse à l’exploitation sexuelle des enfants.
L’abus sexuel sur enfants désigne des actes sexuels commis sur des enfants, par des adultes ou des pairs, et implique en général un individu ou un groupe profitant d’un déséquilibre de pouvoir. La force peut être utilisée, les agresseurs ayant souvent recours à l’autorité, au pouvoir, à la manipulation ou à la tromperie.
L’exploitation sexuelle des enfants inclut les mêmes actes abusifs. Toutefois, un élément supplémentaire doit aussi être présent – un échange (par exemple, de l’argent, un abri, des biens matériels, des choses immatérielles comme la protection ou une relation), ou même la simple promesse d’un tel échange.
La République démocratique du Congo (RDC) est classée 60ème sur 60 pays par l’Indice « Out of the Shadows » sur la réponse aux abus et à l’exploitation sexuels des enfants, avec un score de 26,4v. Le pays est en bas du classement derrière le Burkina Faso (28,6) et le Pakistan (28,6).
La position de la RDC dans l’Indice peut s’expliquer par divers facteurs, tels que le caractère incomplet des cadres juridique, politique et institutionnel pour prévenir et combattre l’exploitation sexuelle des enfants, le manque de données concrètes sur la prévalence de ces crimes et d’importantes défaillances pratiques en matière d’accès à la justice et au rétablissement pour les enfants ayant subi de l’exploitation sexuelle. L’environnement national complexe et instable en RDC accroit les vulnérabilités des enfants à ces crimes.
Bien que limitées, des mesures visant à lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants en RDC méritent d’être soulignées. Par exemple, en 2019, le gouvernement a établi un nouvel organe public spécialisé, l’Agence de Prévention et de Lutte contre la Traite des Personnes, et les organisations de la société civile, bien que disposant souvent de ressources financières très limitées, initient des actions de sensibilisation sur l’exploitation sexuelle des enfants, y compris en ligne.
L’Indice « Out of the Shadows » a évalué la RDC comme ayant un environnement instable, avec un score de 36/100 sur l’indicateur d’instabilité qui examine une série de risques sociaux et politiquesix. En effet, d’importantes difficultés de gouvernance sont à l’origine de la crise humanitaire profonde et complexe qui touche surtout l’est de la RDC depuis des décennies.
La pauvreté chronique est un problème généralisé en RDCxi, et sous-jacent à la vulnérabilité des enfants à l’exploitation sexuellexii. En 2018, près de 73 % des Congolais vivaient sous le seuil international de pauvreté. La vulnérabilité à l’exploitation sexuelle des enfants vivant dans la pauvreté est aggravée par un faible accès à l’éducation, le travail infantile et le peu de capacités des organes de protection sociale
Bien qu’il n’y ait pas de donnée officielle du gouvernement, près de 70 000 enfants seraient en situation de rue en RDC, selon un rapport de 2018 des Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique. Pour survivre, ils recourent au vol, à la mendicité ou à la participation active à leur propre exploitation via le sexe de survie. Des études universitaires et de la société civile ont montré que les enfants travaillant près des zones minières ou comme travailleurs domestiques en RDC risquent aussi d’être exploités ou abusés sexuellement.
La RDC compte la plus grande population de déplacés internes en Afrique, soit 5,7 millions de personnes, dont 3,34 millions d’enfants, en septembre 2021. Le niveau élevé d’insécurité alimentaire dans le pays est un problème récurrent en RDC, où il était estimé que 27,3 millions de personnes y faisaient face entre février et juillet 2021, contribuant ainsi à ces déplacements internes massifs. Les Nations unies ont signalé que les filles déplacées internes peuvent être contraintes d’adopter des stratégies de survie préjudiciables comme les mariages d’enfants ou l’exploitation à des fins de prostitution.
La traite des enfants à des fins sexuelles et les mariages forcés sont aussi liés aux conflits armés persistants, surtout dans l’est de la RDC et la région du Kasaï. En 2020, le Baromètre Sécuritaire du Kivu a recensé, dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri et du Tanganyika, près de 122 groupes armés motivés par des rivalités interethniques et le contrôle des ressources économiques et minières. Un contexte aussi complexe explique pourquoi la RDC a obtenu un score de 0/100 pour l’indicateur de l’Indice sur les conflits armés.
De janvier 2018 à décembre 2020, les Nations unies avaient identifié 763 enfants, dont 3 garçons, ayant subi des violences sexuelles commises par des groupes armés et les forces armées nationales. Les filles enlevées ou recrutées par des groupes armés étaient considérées comme vulnérables à la traite à des fins sexuelles et aux mariages forcés. Les violences sexuelles contre les garçons recrutés par les groupes armés ou en détention sont susceptibles d’être sous-estimées en raison de leur stigmatisation et des obstacles auxquels les garçons font face dans leur accès aux services.
Les mariages d’enfants, précoces et forcés en RDC restent répandus du fait de la pauvreté, des normes de genre et des conflits armés. En 2018, 29 % des femmes congolaises âgées de 20 à 24 ans ont été mariées ou en union informelle avant leurs 18 ans, et 8 % d’entre elles ont été mariées avant leurs 15 ans. En RDC, les mariages d’enfants sont souvent des unions religieuses ou traditionnelles sans enregistrement à l’état civil. En 2016, le Code de la famille de la RDC a été modifié pour faire passer l’âge minimum du mariage pour les filles de 15 à 18 ans. Un point positif est que le Code pénal sanctionne explicitement le mariage forcé, mais il se limite aux cas où l’auteur a l’autorité parentale ou la tutelle sur la victime, et ne couvre pas les infractions perpétrées par d’autres individus comme les membres de groupes armés.
Face à la pauvreté, les familles sont souvent amenées à considérer à tort les mariages d’enfants comme une solution à leurs graves problèmes financiers, y compris via la coutume de la dot. Or, les mariages d’enfants peuvent entretenir la pauvreté car ils sont liés à l’arrêt des études des filles et aux grossesses précoces. En 2018, 52 % des adolescentes issues des ménages les plus pauvres, en âge d’entrer dans le secondaire étaient déscolarisées. Durant l’épidémie de COVID-19, l’UNICEF a noté une hausse du nombre d’adolescentes forcées à se marier à l’est du pays après la fermeture des écoles en mars 2020. A leur réouverture en octobre 2020, une baisse notable de la fréquentation scolaire des filles y était évidente.
La RDC a ratifié les principaux instruments internationaux et régionaux sur les droits de l’enfant, y compris la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. Au niveau national, des codes et de lois ont été adoptés sur les droits de l’enfant et les violences sexuelles. La loi portant protection de l’enfant adoptée en 2009 établit un cadre juridique global relatif aux droits de l’enfant et couvre des formes d’exploitation sexuelle des enfants, mais malgré son adoption, le cadre juridique contre ces crimes est incomplet. Par exemple, la définition juridique de la traite des enfants n’est pas conforme au droit international, la qualification pénale de la vente d’enfants à des fins sexuelles n’est pas clairement identifiable et diverses formes d’exploitation sexuelle des enfants en ligne ne sont pas couvertes par les textes juridiques.
De récentes mesures prometteuses ont été prises en RDC, dans le cadre de la politique officielle contre la traite des personnes. En 2019, l’Agence pour la prévention et la lutte contre la traite des personnes a été créée et a élaboré le premier Plan stratégique de lutte contre la traite des personnes (2020-2024), mais ce plan ne couvre pas spécifiquement la traite des enfants à des fins sexuelles.
En outre, le cadre juridique pertinent est fragmenté et les dispositions pénales n’offrent pas une définition complète de ce que constitue la traite des d’enfants à des fins sexuelles conformément au Protocole des Nations Unies sur la traite. De plus, les informations disponibles ne permettent pas d’évaluer dans quelle mesure et de quelle manière les lois pertinentes sont appliquées par les tribunaux pour juger des cas de traite. Ces lacunes peuvent expliquer pourquoi la RDC a obtenu un score de 0/100 pour les indicateurs juridiques relatifs à la traite des filles et des garçons.
Si le taux de pénétration d’Internet en RDC est l’un des plus faibles au monde, atteignant 12,5 % en 2019, l’utilisation d’Internet en Afrique s’est fortement accrue récemment avec la diffusion des smartphones. En 2020, il y avait 45,5 abonnements de téléphonie mobile pour 100 habitants en RDC, soit près de 3 fois plus qu’en 2009. La loi de 2009 portant protection de l’enfant et le Code pénal incriminent les matériels d’abus sexuel d’enfants, sans mentionner la sphère numérique. D’autres formes d’exploitation sexuelle des enfants en ligne : la sollicitation d’enfants en ligne à des fins sexuelles (grooming), la retransmission en direct (live streaming) d’abus sexuels sur des enfants et l’extorsion sexuelle en ligne ne sont pas criminalisés. Ce contexte explique pourquoi la RDC a obtenu le score de 0/100 sur l’indicateur de l’Indice relatif à la législation spécifique au grooming en ligne.
Un projet de loi sur la cybercriminalité a été déposé au Parlement le 7 février 2020, mais il n’y avait aucune information publique sur son contenu en octobre 2021. Une plateforme de signalement en ligne des abus sexuels sur les enfants, gérée par la Fondation Internet Watch, a été créée en 2018, ce qui constitue une avancée.
La RDC n’a pas de plan d’action national dédié à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants, mais des formes d’exploitation sexuelle des enfants sont partiellement couvertes par des stratégies et des plans nationaux. La loi de 2009 portant protection de l’enfant exige la création du Conseil National de l’Enfant, un organe chargé de mener une politique nationale sur les droits de l’enfantlviii, mais celui-ci n’était pas opérationnel en octobre 2021.
Les enfants ayant subi de l’exploitation sexuelle en RDC font face à divers obstacles dans l’accès à la justice et au rétablissement – tels que les coûts des procédures judiciaires, le peu de tribunaux dans le pays, l’inefficacité de l’assistance juridique gratuite et l’absence de services publics de soutien psychosocial.
En RDC, le manque de tribunaux dans certaines provinces et les distances à parcourir pour atteindre ces tribunaux empêchent les enfants d’accéder à la justice, surtout dans les zones reculées. Des tribunaux mobiles sont parfois installés dans les zones reculées, mais leurs coûts restent élevés.
L’accès des enfants à la justice est aussi entravé par des barrières financières comme les frais de justice obligatoires, y compris pour ouvrir un dossier judiciaire. Le Code de procédure pénale prévoit qu’une assistance juridique gratuite couvrant toute la procédure judiciaire soit disponible après l’obtention d’un « certificat d’indigence » qui peut exempter les enfants issus des ménages pauvres de certains frais, mais en pratique, ceci n’est pas toujours offert aux victimes. De plus, bien qu’un « bureau de consultations gratuites » existe dans chaque barreau provincial et peut fournir des conseils juridiques gratuits aux victimes, ils ont une couverture inégale et un financement limité. La Stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre de 2020 prévoit de créer un fonds pour l’accès à la justice et des cliniques juridiques mais ces mesures n’étaient pas pleinement opérationnelles en octobre 2021. Bien que les victimes de crimes puissent obtenir une indemnisation par les auteurs d’infractions, les tribunaux l’accordent peu et de fortes lacunes existent dans l’application de ces décisions. Ainsi, la RDC a un score de 0/100 pour l’indicateur de l’Indice sur l’accès aux recours financiers et aux réparations.
Les enfants victimes d’exploitation sexuelle en RDC ont droit à une « protection spéciale », y compris la tutelle de l’État, le placement en famille d’accueil et d’autres mécanismes de protection de l’enfance. Néanmoins, une évaluation de 2018, menée par le Bureau International Catholique de l’Enfance a souligné que ces services ne sont pas pleinement fournis par le gouvernement.
Les enfants victimes d’exploitation sexuelle en RDC ont droit à une « protection spéciale », y compris la tutelle de l’État, le placement en famille d’accueil et d’autres mécanismes de protection de l’enfance. Néanmoins, une évaluation de 2018, menée par le Bureau International Catholique de l’Enfance a souligné que ces services ne sont pas pleinement fournis par le gouvernement.
Sans service spécialisé géré et financé par l’État pour soutenir les enfants victimes d’exploitation sexuelle, des organisations non-gouvernementales comme Solidarité Féminine pour la Paix et le Développement Intégral ou la Fondation Panzi ont créé des services à guichet unique pour les victimes de violences sexuelles offrant une aide médicale, juridique, psychosociale et socio-économique dans un même lieu. Néanmoins, ces services sont rares dans le pays et dépendent des financements, parfois instables, des donneurs internationaux. Depuis 2017, la Fondation Panzi a aussi ouvert 4 refuges à Bukavu délivrant un soutien complet à des filles de 10 à 14 ans ayant été exploitées sexuellement dans des établissements de prostitution.
Alors que le rôle de la société civile en RDC est crucial pour rompre l’isolement des enfants dans le besoin et sensibiliser les communautés aux risques de l’exploitation sexuelle des enfants, les organisations non-gouvernementales ont souvent du mal à trouver les financements nécessaires à leurs activités. De plus, les professionnels en contact avec les enfants ayant subi de l’exploitation sexuelle ne reçoivent pas des formations ou des lignes directrices adéquates. La RDC a un score de 0/100 pour l’indicateur de l’Indice sur la disponibilité d’un appui professionnel et de lignes directrices pour les travailleurs sociaux. Peu d’initiatives de sensibilisation pertinentes associent les médias locaux et la société civile.
En RDC, les organisations de la société civile luttant contre l’exploitation sexuelle des enfants disposent de peu de financements limitant ainsi leurs actions de sensibilisation et de soutien. En décembre 2020, ECPAT International et le Bureau National Catholique de l’Enfance ont lancé une table ronde, permettant des discussions entre le gouvernement et la société civile sur les mesures de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. De plus, en mars 2020, le Réseau des Enfants et des Jeunes Africains pour les Droits Humains a organisé à Bukavu, un atelier visant à former les travailleurs sociaux sur l’exploitation sexuelle des enfants en ligne.
Bien qu’étant aussi les seules entités à gérer des cliniques juridiques et des services de soutien pour les enfants vulnérables à l’exploitation sexuelle, les organisations non-gouvernementales ne reçoivent pas de subventions publiques, et n’ont alors pas les capacités pour répondre aux besoins de tous les enfants.
En RDC, les émissions de radio locales sont les premiers canaux utilisés par la société civile pour sensibiliser les communautés aux droits des enfants. En mars 2021, l’Agence pour la Prévention et la Lutte contre la Traite des Personnes a lancé une formation pour les journalistes afin d’accroître leurs connaissances sur la traite et la manière adaptée de réaliser des reportages sur ces crimes.
Le rôle des médias est un élément clé compte tenu du faible taux de sensibilisation à l’exploitation sexuelle des enfants, notamment dû à la méconnaissance des lois et des politiques en vigueur. En RDC, les médias peuvent jouer un rôle central dans la promotion de la participation publique des enfants, ainsi, depuis 2013, l’UNICEF met en œuvre le programme « Enfants Reporters », en partenariat avec le Ministère du Genre, de la Famille et de l’Enfant, à travers lequel les enfants produisent des contenus radiophoniques, télévisés ou en ligne pour sensibiliser la population sur les sujets liés aux droits des enfants, y compris les préjudices associés aux mariages d’enfants. De 2013 à 2018, l’UNICEF recensait 830 enfants reporters.
Veuillez lire le rapport Panorama du Pays d’ECPAT sur la République démocratique du Congo (RDC)
Plus d’informations sur notre partenaire local en RDC et leur travail
Veuillez écouter notre épisode de podcast sur l’exploitation sexuelle des enfants en RDC et dans d’autres pays: